Dans les coulisses d’Happineo — Entretien avec Hélène Briand, cofondatrice
C’est en remarquant la détresse de certains salariés dans le monde du travail qu’il est venu à Hélène Briand, alumni d’ESCP Europe et entrepreneuse à la Blue Factory, une idée d’entreprise. Qui en effet oserait contredire le fait qu’il est parfois bien difficile de parler à un professionnel lorsqu’on est en burn-out ou que l’on subit du harcèlement, que ce soit à cause de contraintes horaires, ou bien simplement parce que le sujet demeure encore tabou pour beaucoup d’entre nous ? C’est face à ce constat qu’Hélène, forte d’une solide expérience en marketplaces de services et en plateformes de mise en relation, a naturellement créé Happineo. Happineo met facilement en relation des psychologues en ligne avec des personnes rencontrant des difficultés personnelles ou professionnelles. Nous l’avons rencontrée, et lui avons posé quelques questions.
Comment fais-tu pour être sûre qu’une personne trouve le bon psychologue ?
Chaque personne consulte pour des raisons qui lui sont propres et c’est pourquoi il est primordial de bien comprendre les besoins des personnes qui nous demandent un accompagnement afin de leur proposer le meilleur psychologue. La première étape est donc de proposer aux patients une sélections des psychologues qui consultent dans le domaine spécifique lié à leur demande. Par exemple pour une problématique de couple, nous ne proposerons que des psychologues de couple. La deuxième étape est plus personnelle. Nous allons tous avoir des préférences propres pour consulter un psychologue. Par exemple certaines personnes préfères consulter un homme ou une femme, d’autre préfère une personne jeune ou plus âgée. Pour cela, nous prévoyons toujours de proposer deux psychologues différents à chaque personne afin qu’elle puisse choisir en fonction de ses préférences propres. Il ne faut pas oublier que le lien humain est très important dans notre métier !
Est-ce que tu sélectionnes les psychologues sur Happineo ? Si oui, quels sont vos critères ?
Oui, chaque psychologue qui vient sur notre plateforme a suivi un processus de sélection. Nous avons énomément de critère à prendre en compte : diplôme, formation continue, expériences, motivation… tous ses éléments sont primordiaux et nous permettent de proposer ensuite les meilleurs profils à nos utilisateurs.
Comment as-tu convaincu les psychologues de pratiquer des séances en ligne ?
On ne le sait pas mais beaucoup de psychologues pratiquent déjà des consultations en ligne soit avec des patients qui déménagent soit avec des patients isolés géographiquement. Ils sont très intéressés par notre outil qui permet à leurs patients de payer en ligne directement sur leur emploi du temps, de réserver un créneau et de consulter en ligne. En plus grâce à Happineo, ils ont de nouveaux patients !
À qui conseillerais-tu Happineo ?
Il y a plusieurs types de personnes qui sont susceptibles de pouvoir consulter, mais nos clients phares — les personnes qui consultent le plus — , ce sont des personnes qui ne peuvent pas se déplacer, comme les expatriés, les jeunes mamans, les personnes à mobilité réduite, les personnes dans les campagnes, mais également des salariés via leur entreprise, parce que nous proposons la plateforme à leur entreprise. Ils consultent soit le soir, soit le week-end.
De la même manière qu’il y a une vingtaine d’années, les utilisateurs étaient réticents à donner leurs coordonnées bancaires, comment convaincs-tu aujourd’hui tes utilisateurs de se confier sur Internet ?
Je ne peux pas pallier le fait que les utilisateurs ont peur de se confier sur Internet : de prime abord, ceux qui ont peur ne viendront peut-être pas sur notre site. Mais pour ceux qui s’y intéressent, qui vont sur notre plateforme, nous mettons en place toute une communication pour les rassurer. Nous leur présentons un psychologue, leur première consultation est moins chère pour qu’ils puissent tester, et nous présentons des articles… Toute une panoplie de moyens de rassurer les gens. Nous avons également un chat et un standard, ce qui fait que si la personne est intéressée, elle peut nous poser toutes les questions qu’elle souhaite.
A la suite du retour de tes utilisateurs, qu’est-ce qui leur plaît le plus, et quelles sont les améliorations à venir ?
Ils sont rassurés de voir que leur consultation a distance est de très bonne qualité. Ce qui leur plaît le plus, c’est la qualité du psychologue, étant donné que nous les avons sélectionnés. Donc ils se sentent à l’aise rapidement. Ce que j’améliore en continu c’est le parcours utilisateur pour le rendre de plus en plus simple. Nous faisons régulièrement des tests utilisateurs pour avoir leur retour et faire des ajustements.
Comment éviter de tomber dans un marketing qui pousse les gens à avoir des problèmes là où ils n’en ont pas et à devenir dépendants des consultations ?
Ce sont les psychologues qui gèrent beaucoup cette partie, parce qu’ils ont l’habitude de s’arrêter lorsque la personne va mieux. Cela étant dit, tout dépend des types de thérapies : il y en a qui sont plus longues que d’autres, et qui dépendent également de la volonté du patient ; cela dépend aussi de la mise en relation. Après, il n’y a pas de magie, quand ça va mieux, les gens le sentent. Pour nous mieux vaut avoir des personnes qui vont mieux, et qui parlent d’Happineo autour d’eux. C’est le meilleur marketing qui soit.
Partant du principe qu’un patient qui va mieux est un patient qui part, comment fais-tu pour rendre ton business model pérenne ?
Il faut construire notre business dans le bon sens ! On sait aujourd’hui qu’après une dizaine de consultations nos utilisateurs vont bien et n’ont plus besoin de notre service. A nous de créer une offre de qualité et rentable à partir de là en pas l’inverse !I
Et quand tout le monde ira mieux, comment pivotera Happineo ?
Ce serait le meilleur des mondes ! Je pense qu’on se réorganisera pour faire des activités un peu plus complémentaires liées au bien-être. Je n’y ai pas encore réfléchi parce qu’aujourd’hui noue croulons plutôt sous le travail pour aider des gens qui ont des difficultés. Mais effectivement, on peut se poser la question. Je pense qu’Happineo pivotera plus de la psychologie vers le développement personnel.
À la suite de cet entretien avec Hélène, nous lui avons également posé des questions concernant l’entrepreneuriat en général, afin d’inspirer les curieux, mais également les futurs entrepreneurs.
Quelle est pour toi la principale idée reçue d’un entrepreneur qui se lance ?
L’idée reçue qui consiste à dire que « l’idée fait tout », c’est-à-dire qu’on a une bonne idée, alors qu’en fait c’est beaucoup de travail. L’idée ne fait pas grand-chose. Il y a aussi l’erreur de penser qu’on peut tout faire seul, alors qu’il faut s’entourer beaucoup, beaucoup, beaucoup… Que ce soient des associés, des partenaires, des mentors, des incubateurs : c’est important. Si on fait cela, c’est déjà bien ! D’autres idée reçues : l’idée qu’il faut monter le produit d’abord avant le marketing, et que le marketing vient ensuite, alors qu’en fait il faut commencer les deux en même temps ; mais aussi l’idée qu’on va construire un produit parfait sans en parler avec ses utilisateurs, alors que c’est l’utilisateur qui sait tout.
Si tu pouvais recommencer Happineo de zéro, tu commencerais par quoi ?
Je ferais tout ça ! Pour commencer, je m’associerais tout de suite. Cela dit, c’est facile à dire, car si je ne me suis pas associée tout de suite, c’est que je ne trouvais personne avec qui m’associer, mais je ferais peut-être plus d’efforts. Je commencerais beaucoup plus rapidement à faire du marketing, j’y passerais beaucoup plus de temps, beaucoup plus qu’à développer le produit. Je me suis associée avec un développeur donc ça tombe bien, parce qu’on peut faire les deux en même temps. Vu que je n’avais pas de développeur à l’époque, j’ai créé tout le produit et j’ai ensuite lancé le marketing. Pour le côté accompagnement, j’ai été beaucoup accompagnée et je ne le regrette pas. Et puis aussi prioriser plus, en s’attachant moins aux détails.
Quand rien ne va, que fais-tu ? Est-ce que tu consultes sur Happineo ?
Je ne vais pas consulter sur Happineo car mes psys sont mes partenaires, et ce serait difficile de raconter ma vie personnelle étant donné qu’on travaille ensemble. Je suis persuadée qu’Happineo va fonctionner parce que l’utilisateur final trouve que ce produit a une grande valeur ajoutée pour lui. On aide, objectivement, des gens, qui, objectivement, vont mieux, qui nous le disent, et qui nous recommandent, et qui font venir leurs amis, etc. etc. Pour moi, c’est impossible que le projet meure, parce que grâce à ça, on a la preuve que le besoin existe, et c’est très important. Donc, quand ça va mal, et que je sens que ça va de pire en pire — en général c’est par vagues — , je me raccroche à cette idée. Je m’en sors comme ça. En général, ça ne va pas mal pendant des années non plus, donc à un moment ça va mieux, il y a des bonnes nouvelles !
On parle beaucoup d’entrepreneuriat féminin. Est-ce que tu perçois une différence face à tes pairs masculins dans ta manière de faire et la manière dont tu es perçue ?
C’est difficile à dire, car je me suis déjà posée la question, et je trouve qu’il n’y a pas de différence qui est faite — en tout cas en entrepreneuriat — entre les hommes et les femmes. La différence se fait plutôt avec les partenaires, les grosses entreprises où l’on va pitcher. Forcément, il n’y a pas d’autres filles, et pas d’autres filles de moins de 30 ans non plus, donc c’est peut-être là que l’on sent qu’on est pas forcément pris au sérieux tout de suite. Mais je pense que le problème doit être pris de la manière inverse — alors c’est plus dur pour nous les filles. Plutôt que de se dire qu’on est moins bien perçues, ce qui est certainement un peu vrai — et parfois je le ressens sans pouvoir mettre le doigt dessus — , il faut se dire : comment est qu’on fait en sorte que les gens nous prennent au sérieux ? C’est ça qui est hyper dur, et je n’ai pas trop la réponse encore. Et surtout : comment ne pas tomber dans le travers de se morfondre : « ouais, c’est abusé, les gens nous considèrent moins »… Oui je pense qu’en réalité on est un peu moins considérées, 30% de moins, 20% de moins. Il faut faire avec, en quelque sorte. Mais au lieu de se morfondre, de faire un scandale, il faut se battre plus, être plus vigilant, plus sûres de soi face à la personne à qui on va parler, ne pas laisser passer de peur ou de manque de confiance en soi, même si l’on n’a pas confiance en soi. Cela s’apprend au fur et à mesure : on sait ce qu’on vend, on sait ce qu’on est, on connaît la valeur de notre projet, et on finit par y arriver d’une manière ou d’une autre. Mais disons que pour arriver au même point, il faut peut-être un peu plus d’efforts.
Une citation ? Un livre ? Un film à conseiller à de jeunes entrepreneurs ?
Non. Pas trop, parce qu’il y a pas mal de bla bla dans les livres d’entrepreneurs. Évidemment ça va aider, parce que ce sont des grands classiques. Tout m’inspire, parce que je lis plein de trucs. Plutôt que de se dire quoi lire, je conseillerais plutôt de continuer à lire, parce que le risque, c’est d’arrêter, de se désolidariser de sa vie personnelle. Quand on est entrepreneur, la vie personnelle et la vie professionnelle ne font qu’un : au début, l’entreprise c’est soi-même, ensuite c’est soi plus une autre personne, plus deux, plus trois, mais on reste un peu autocentré. Et en plus, les gens, quand on est président d’une boîte, ne comptent que sur nous comme si on était la seule personne disponible, et on peut facilement se laisser emporter. Donc je conseille de continuer à lire si on aime lire !
Cet entretien a été réalisé par Victorien Carré, bras droit 2018 de la Blue Factory